Architecture

 

Comment délivrer les formes? En se gardant de tout formalisme. En étant convaincu de leur nécessité et en prêtant attention aux forces qui les animent. Qu'appelais-je formalisme? La croyance en l'histoire propre des formes. Je l'ai depuis longtemps perdue, non sans rester persuadé qu'elles s'impressionnent mutuellement pour engendrer un style. Mais je n'envisage leurs sollicitations mutuelles que parmi la multitude des forces: forces sociales, économiques et politiques, pour la solide raison que tout édifice a trait à des usages, des fonctions, à la relation à son environnement, aux nécessaires liens avec la maison d'en face ou d'à côté.

Henri Gaudin

L'enseignement que j'ai reçu à L'Ecole d'Architecture de Versailles est toujours présent dans ma mémoire. A partir du moment où je visite pour la première fois le site sur lequel on me demande d'édifier un bâtiment jusqu'à l'instant de finaliser les derniers détails de mise en page du rendu de l'Avant Projet, je repense aux paroles entendues en cours, certains dessins griffonnés à même une table de classe ou dans un petit cahier noir. La suite du cycle de vie du projet je l'ai apprise, comme nombre de mes confrères, lors de la pratique du métier sur le terrain, en travaillant dans des agences d'architecture ou plus tard pour mon propre compte.

Ainsi, c'est lors de mes premières expériences en agence que me sont apparus concrètement les termes de « normes d'accessibilité, réglementation thermique, bureau d'étude, bureau de contrôle, DTU, sécurité incendie, PLU, compte rendu de chantier », etc. J'ai donc appris à l'école d'architecture ce qui occupe aujourd'hui environ 10% de mon temps: La conception architecturale. Le reste, les 90% du temps que je passe à exercer mon métier je l'ai appris sur le tard, en écoutant, en observant, en me formant, en me trompant parfois. Les professeurs que j'ai eus à l'école étaient d'une immense qualité et c'est aujourd'hui, avec le recul nécessaire sans doute, que je mesure l'importance de la qualité de cet enseignement. Je suis aujourd'hui conscient de la chance que j'ai eue de côtoyer ces maîtres, au sens aujourd'hui peut-être un peu désuet du terme. Ainsi, ce sont Henri Gaudin, Jean Castex, David Mangin, Olivier Girard, René Hasson, Patrick Celeste, Michel Remon et bien d'autres qui furent mes professeurs et qui m'ont sans doute donné cette envie transmettre, à mon tour.

 

Histoire et présent.

« Pour établir un plan, quel qu'il soit, il est indispensable de se rendre compte de la situation telle qu'elle se présente, et de la dépasser. Il faut à la fois connaître ce qui s'est fait dans le passé et pressentir les besoins de l'avenir. Cela doit nous inciter non pas à jouer les prophètes, mais à avoir une vision plus large des choses. » Siegfried Giedion

 

Concevoir un projet d'architecture est un acte de création qui se produit à un instant donné. Cet acte se situe à la croisée de deux dimensions du temps. L'histoire d'une part, c'est à dire la connaissance que l'on peut avoir de l'état de l'art sur le sujet qui intéresse le projet en question et d'autre part l'époque contemporaine du projet. Ainsi, comme toute discipline de création, qu'elle soit artistique ou scientifique (industrie, recherche), il n'y a en réalité aucune nouveauté à proprement dite et on parlera davantage d'innovation dans ces différents domaines. Mettre du nouveau dans un objet qui existait déjà, transposer un concept et l'adapter à l'humeur de l'époque, réinterpréter une forme qui fut efficace il y a cent ans puis laissée de côté car jugée démodée.

Les projets d'architectures comme les derniers modèles de voitures ou de chaises sont des réinventions permanentes de modèles existants. Chaque projet s'inscrit dans le fil du temps, prend à ses prédécesseurs, transforme, modifie, adapte, réinterprète et restitue aux usagers de ce nouveau siècle tout en transmettant aux re-créateurs de demain. Pour cette raison, les références qui ne font pas débat sont les plus anciennes connues et cela dans tous les domaines. Tous les architectes, de tous pays, de toutes écoles et toutes époques confondues sont fascinés et à raison par Athènes, Rome, Palladio, Le dôme de Florence, la cathédrale de Chartres. Je pense que l'architecte est un passeur et se doit de conserver une grande humilité sur son métier.

En même temps que chaque projet s'inscrit dans une lignée verticale, il fait également nécessairement référence à ses contemporains dans une relation transversale. Sans pour autant parler de mode, chaque décennie a son vocabulaire qui lui est propre. L'environnement sociétal, économique, politique, formel (design, arts graphiques, architecture) influencent un architecte dans sa création et enracinent son œuvre dans une époque qu'il en soit conscient ou non. La prise en compte du développement durable influence par exemple aujourd'hui l'ensemble de la conception architecturale. Que cette influence soit visible (panneaux solaires, éoliennes, répartition des ouvertures) ou non (épaisseur d'isolant, qualité de vitrage, étanchéité à l'aire) elle a définitivement changé la première approche des architectes sur le projet en élaboration. Hier c'était l'apparition du métal ou du béton armé dans la construction qui modifiait les formes et les qualités spatiales des bâtiments, demain ce sera l'inspiration d'une civilisation remise au goût du jour ou l'apparition de nouveaux outils de travail qui influenceront la façon de concevoir l'architecture pour une génération d'architecte.

Il y a donc nécessairement à connaître l'histoire de la discipline que l'on apprend. Pour cela bien sûr il y les livres, les photos, les dessins, l'utilisation d'internet moyennent certaines précautions et bien entendu la transmission orale des cours ou les échanges avec les professeurs de l'école d'architecture. Mais surtout il faut voir. Il faut aller voir de l'architecture, qu'elle soit modeste, au coin de sa rue ou à l'autre bout du monde, grandiose ou oubliée. S'y promener, se promener à Florence, Rome, Istanbul, Paris, La Rochelle, Séville. Se promener et se perdre, un carnet de dessin à la main. Sentir sous sa main le relief de tel sous bassement d'un palais florentin, voir la trace du soleil passant par l'oculus du dôme du Panthéon de Rome, être dans une rue de New York pour en ressentir l'échelle, arriver en bateau à Barcelone pour voir la nappe homogène de la ville d'où émerge la masse poétique de la Sagrada Famillia, dormir dans une cellule du couvent de La Tourette et prendre son repas avec les moines. Les visites d'architectures et de villes sont une nécessité absolue pour qui veut apprendre à concevoir un bâtiment, une place ou un banc.

Être ensemble.

« Toute chose est idiote dès qu'elle n'existe qu'en elle même ». Henri Gaudin

 

Être ensemble , voilà pour moi ce qui définit le mieux la conception architecturale et urbaine. Je parle bien-sûr ici de la nécessité pour un édifice d'être avec les autres. Du dialogue qui s'instaure entre une façade, un volume, avec sa rue, sa place, les bâtiments qui lui font face ou qui l'épaulent. De cette manière qu'a la matière pleine d'un bâtiment d'être avec l'air, la pesanteur, les fluides qui le remplissent. Du point de vue de l'environnement on prendra aujourd'hui et plus encore demain en compte, la préoccupation des arbres, du soleil, des vents dominants, d'une vue.

C'est de cette mise en relation que naît la forme d'un bâtiment, que naît sa raison d'être. C'est là tout le travail de l'architecte. Savoir Être ensemble c'est également apprendre à partager la conception de son bâtiment. Faire passer son projet sous l'œil expert de l'ingénieur, du bureau de contrôle, de l'architecte des bâtiments de France, de l'entreprise et bien-sûr de l'usager. Or, à mon sens, la nature même de cette relation d'échange autour de la conception du projet tend à dénaturer sa force originelle tout en complexifiant son élaboration. Cet aller et retour du projet entre les différents intervenants a pour conséquence de dégrader la qualité brute de celui-ci tandis qu'elle la renforce par ailleurs, de part l'apport de ces expertises. Je pense qu'à l'avenir, la manière d'exercer le métier d'architecte doit profondément évoluer. Les projets d'architecture ne seront plus l'œuvre d'une seule personne mais d'une intelligence collective. L'évolution de la technique dans les bâtiments dûe notamment aux exigences accrues des performances des bâtiments rend cette mutation du métier nécessaire.

Il faudra que le processus de conception du projet architectural passe d'un fonctionnement consultatif à un fonctionnement collaboratif. Cette évolution interviendra pour des raisons techniques et en premier lieu par exemple du fait de l'obligation d'étanchéité à l'air des bâtiments avec l'évolution des réglementations thermiques à venir. Sans l'application d'un processus de conception intégrée et donc de l'intervention aux premières ébauches du projet, non seulement des bureaux d'étude mais également des entreprises, il sera impossible d'atteindre les performances exigées. D'autre part, le travail collaboratif répond aux exigences de qualité de réalisation d'un bâtiment en intégrant à tous les stades du cycle de vie du projet et ce dès l'amorce du projet, l'ensemble des intervenants que sont maîtrise d'ouvrage, usagers, entreprises, bureaux d'étude, OPC et bien-sûr l'architecte. Cette évolution ne se fera pas du jour au lendemain car elle soulève de nombreux problèmes techniques dont notamment la responsabilité juridique des co-concepteurs ou la barrière du code des marchés publics mais je pense qu'il est dès aujourd'hui essentiel que les étudiants en architecture apprennent à travailler ensemble ainsi qu'avec d'autres métiers.

 

Pierre Allançon le 12 Mai 2013